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SUPERMAN, UN RÉFUGIÉ COMME UN AUTRE


©Guillaume Capelle


Au cinéma, les extra-terrestres sont rarement sympathiques. Mars a la fâcheuse tendance à nous attaquer. Du coup, des hommes en noir nous protègent. Et dès qu’on s’aventure dans l’espace, c’est la guerre des étoiles. Bien sûr, il y a ET qui est plutôt cool mais qu’est-ce qu’il est laid… c’est flippant ! L’un des seuls arrivant avec une bonne bouille et des manières de scout, c’est quand même Superman.


Je me suis toujours demandé comment nous l’accueillerions, en vrai.


Kal-El, alias Superman, fuit une planète au bord de l’implosion, Krypton, pour trouver refuge ailleurs, et il vient chez nous, sur Terre. Les raisons de son départ — une guerre civile, et le franchissement d’une frontière, certes intergalactique — font a priori de lui un réfugié. Il devrait donc bénéficier d’un titre de séjour de 10 ans et ainsi accéder au droit commun. Mais je vous propose, pour en être bien sûrs, de passer sa demande d’asile à l’épreuve de notre système d’accueil.


L’offre d’asile, un deal à prendre ou à laisser

Clark Kent obtiendrait-il l’asile en France ? Notre petit coeur de spectateur répond “oui”, surtout parce que c’est juste un enfant quand il arrive sur Terre. D’ailleurs, les mineurs ne passent pas par le même système de protection que les adultes. Ils sont obligatoirement pris en considération. Sauf que là… On parle d’une personne qui a voyagé des années lumières. D’un point de vue administratif, c’est donc le dossier d’un très très vieux majeur et non pas celui d’un enfant qui est déposé devant l’administration française.


Comme tous les autres fossiles de plus de 18 ans, il doit faire une demande d’asile afin de rester en France. Il se rend dans des associations pour apprendre le français et recevoir une aide juridique et administrative — sans connaissance de la langue ou du droit, il n’a quasiment aucune chance d’obtenir la protection.


Comme vous le savez, Superman arrive dans un vaisseau spatial dans lequel sont stockés, sur un disque dur interne, un grand nombre de données sur sa planète et l’histoire de sa famille. C’est nickel ! Rare sont les réfugiés qui peuvent emporter avec eux autant de données sur leur parcours personnel et professionnel.


Toutefois, les preuves qu’il apporte devant l’OFPRA (Office français pour les réfugiés et les apatrides) sont difficilement recevables… D’abord, il arrive avec un logiciel que l’administration locale ne sait pas lire. Il vient, en plus, sans passeport. Qu’est-ce qui nous prouve alors qu’il vient d’un autre pays ? Enfin, l’OFPRA n’a pas connaissance du conflit qui a frappé son village et, dans le doute, conclut qu’il s’agit probablement d’une histoire inventée.


Suite au rejet de sa première demande d’asile, il fait un recours foireux auprès de la Cour nationale du droit d’asile, sans succès, car il ne trouve pas de nouvelles preuves pour appuyer son dossier. Il lâche l’affaire au bout de trois ans environ, complètement blasé, ruiné sans doute et sans perspectives d’avenir. Clark Kent est débouté de sa demande d’asile.




©Guillaume Capelle


Le délit solidaire, quand faire le bien peut te mettre dans la mouise

Qu’adviendrait-il de Jonathan et Martha Kent ? L’asile n’implique pas seulement celui qui arrive mais également celles et ceux qui voient arriver. Quand ils découvrent un enfant dans un vaisseau spatial, au beau milieu de leur champ, Jonathan et Martha Kent ont un réflexe humaniste : ils l’amènent chez eux pour le soigner et le nourrir. Puis, ils prennent une décision, que j’aimerais également analyser d’un point de vue juridique.

Premièrement, ils choisissent de cacher la présence d’un enfant en situation irrégulière sur le territoire aux autorités locales. En France, où l’on lutte activement contre les réseaux de passeurs, il arrive qu’une interprétation un peu zélée de la loi L622 touche aussi des citoyens bienveillants. Un professeur conduisant une mère et son fils d’une gare à une autre dans le sud de la France a écopé de 1500 euros d’amende. Martha et Jonathan eux ont carrément caché une personne pendant plusieurs années… Je vous laisse imaginer la sentence.

Pire, ils vont jusqu’à inventer une identité à cet enfant, en falsifiant des documents d’adoption ! Les scénaristes ne rentrent jamais vraiment dans le détail de cette partie, et c’est bien dommage. C’est sans doute le plus grand exploit de ce comics !


Le déclassement professionnel, cette piètre utilisation des ressources humaines

Clark Kent aurait-il pu travailler au Daily Planet ? La réponse est malheureusement non. Il n’aurait pas obtenu de titre de séjour, ni donc d’autorisation de travail — quelle idée aussi de partir de chez soi sans les bons documents ! Tu prends au moins ta facture EDF, non ? Superman ne peut donc pas travailler légalement sur le territoire. Il enchaîne les « petits boulots », et le journalisme n’est pas une option.

De toute façon, les journalistes quittant leur pays ont souvent de grandes difficultés à continuer leur carrière. Un oeil nouveau sur l’actualité est souvent un oeil qui dénote. Pourtant, ce serait intéressant d’en savoir plus sur Krypton. Superman aurait été le seul journaliste de ce pays là et sans doute le seul à pouvoir analyser les données stockées dans son vaisseau ! En y réfléchissant bien, il aurait même pu créer un magazine, en publiant des histoires uniques sur la vie dans une autre galaxie, ou rédiger, comme Uzbek et Rica de Montesquieu, un ensemble de lettres kryptoniennes sur ses étonnements terriens. En tout cas, il y aurait sans doute plein d’opportunités de valoriser, y compris financièrement, ses expériences personnelles.



©Guillaume Capelle


L’insertion morale, pour éviter que tu pollues la société avec ta personnalité

Superman respecterait-il les valeurs de la République ? C’est un peu le questionnement de Batman dans le dernier film de Zach Snyder. Mais quand on voit que Superman s’habille en collant bleu, jaune et rouge, on comprend assez rapidement que le mec est américain jusqu’au slip. C’est le résultat d’une installation en douceur dans sa terre d’asile, où il a pu développer un sentiment d’appartenance, voire l’expression, dans son cas, d’un patriotisme exacerbé.


Dans les films, il profite d’un très fort réseau social. Il y a d’abord ce cercle familial soudé et son installation dans un havre de paix, à Smallville. Puis, des amis à l’école et l’université, où il apprend et expérimente. Et enfin de nombreux collègues aux Daily Planet, le journal qui lui permet de révéler ses talents. Ce maillage social lui permet de naviguer sereinement dans la société, sans se soucier du « qu’en dira-t-on ».


La bienveillance de son entourage génère un fort attachement de Clark Kent à ses compatriotes et, plus largement, au genre humain. Au service de tous, il passe sa vie à rendre la monnaie de l’hospitalité de ses parents adoptifs. Il est entièrement dédié à la démocratie américaine. Et ce n’est pas parce qu’on l’a obligé à apprendre l’anglais et à suivre des cours d’éducation civique, mais bien parce qu’il a envie d’être un membre de cette tribu accueillante.


En France, l’hospitalité est brimée, parfois punie. On nous parle des risques, même mineurs, sans jamais nous raconter les opportunités, pourtant majeures. Notre vision de l’asile, par le bout de la lorgnette, crée un accueil craintif. Nous nous serions méfiés de Superman. Nous aurions eu peur de lui. Et il y a fort à parier qu’il se serait retrouvé seul. Il n’aurait probablement jamais pu apprendre le français. Il n’aurait pas compris pourquoi nous nous faisons la bise. Et il aurait eu peur aussi, de nous. De notre indifférence si puissante.


Superman n’aurait donc probablement pas reçu de titre de séjour. Il aurait vraisemblablement découvert les rues et les centres d’hébergement d’urgence de la région parisienne. Il aurait observé le plafond de verre qui recouvre certains de nos territoires. Vu ses capacités, il l’aurait sûrement transpercé à un moment ou un autre. Mais aurait-il travaillé à la naissance d’un monde plus juste ? De quelle manière ? Une chose est sûre, il n’aurait jamais porté un slip bleu blanc rouge.


Pour aller plus près

« Dans chaque homme il y a toujours deux hommes et le vrai, c’est l’autre » par Raphaël Enthoven

Signé: Guillaume Capelle, aka Tony Stark

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