Accueillante dans le cadre du programme CALM depuis septembre 2015, Catherine a accueilli trois personnes dans son appartement des Yvelines. Une démarche qu’elle qualifie de « normale » et d’enrichissante, en plus d’être utile. Aujourd’hui, elle témoigne de cette aventure interculturelle.
« Issus de deux fratries de plus de dix enfants, mes parents sont toujours partis du principe que quand il y en avait pour dix, il y en avait pour onze. Je viens d’une famille où on a toujours eu l’habitude de recevoir et d’accueillir des gens. Si bien que depuis deux ans, j’ai hébergé trois personnes réfugiés par le biais de l’association SINGA : deux réfugiées tibétaines et un réfugié soudanais. Ça m’a paru normal de le faire. […]
Il y a trois semaines, mon mari et moi avons accueilli Omar chez nous. Je ne sais pas grand-chose de son parcours, hormis qu’il a 35 ans et qu’il est passé par l’Italie avant d’arriver en France. Une fois à Calais, il a été refoulé vers Paris. Depuis qu’il est là, on apprend à se connaître. Il est arrivé en plein milieu du ramadan, les fortes chaleurs n’ont pas dû l’aider.
Son anglais et son français n’étant pas encore très bons, je me suis rapprochée de l’association pour qu’il puisse discuter avec un interprète de ce qu’il vivait. Omar me disait qu’il se sentait mal et qu’il vaudrait mieux qu’il parte. Ce à quoi j’ai répondu qu’on n’était pas là pour le faire souffrir, qu’il avait les clés de l’appartement et qu’il était complètement libre de son choix. La porte resterait ouverte de toute façon. Il est revenu un soir, deux jours plus tard. J’avais préparé une moussaka qu’on a partagée tous les trois, avec mon mari. C’était la première fois qu’on avait vraiment l’occasion de dîner tous ensemble, j’ai senti qu’il était content.
Ce qui est difficile, c’est que je ne connais pas son histoire, ni les détails du voyage qu’il a dû faire pour arriver en France. L’association nous recommande de ne pas trop poser de questions, pour éviter de faire resurgir un éventuel vécu traumatique.
J’étais en Sicile au moment où j’ai appris qu’on accueillerait Omar à la maison. Quand je lui ai parlé de l’Italie, au tout début, j’ai bien compris qu’on n’en avait clairement pas le même souvenir. Ça ne fait que trois semaines qu’il est chez nous et peu à peu, on fait des pas les uns vers les autres.
Nous sommes allés voir une exposition de photos sur le Soudan à la Fondation Cartier-Bresson. La population dépeinte par le photographe n’était pas celle d’Omar, pourtant il m’en a beaucoup parlé. Il m’a expliqué les détails de l’embargo américain, discuté dès 1997, alors que les Etats-Unis accusaient le gouvernement soudanais de soutenir le terrorisme (le pays avait notamment hébergé Oussama Ben Laden). Le congrès américain avait décidé d’interdire l’export de tous les produits soudanais, sauf la gomme arabique… qui entrait dans la composition des produits de Coca et de Pepsi. Pratique.
Mon mari est allé avec lui au cinéma. Bref, c’est avec ce genre de moments du quotidien qu’on apprend à se connaître.
Avant Omar, j’ai accueilli Tenzin et Lhakpa, deux réfugiées tibétaines à partir du mois de septembre 2015. Elles étaient installées depuis neuf mois quand j’ai senti le besoin d’analyser leur parcours d’intégration et les étapes de notre relation. Ouvrir notre porte à deux personnes réfugiées a donné lieu à des discussions inédites avec des proches, que je connaissais pourtant depuis longtemps.
Même parmi mes voisins et le gardien de l’immeuble, que j’ai prévenus, je pense que certains ont un peu réfléchi ou en tout cas pu mettre des visages sur ce terme de « réfugié » qu’on entend régulièrement dans les médias et dans la bouche des politiques, sans pour autant vraiment réussir à savoir ce que ça veut dire concrètement.
En dehors de ça, accueillir des réfugiés est une expérience singulière, qui passe par un certain nombre d’interrogations. D’abord, on se demande comment communiquer quand on ne parle pas la même langue et que les codes sociaux sont différents ?
D’abord, Tenzin et Lhakpa venaient d’une région montagneuse et isolée du Tibet. Tous les gestes liés à leur vie quotidienne ou à l’hygiène n’avaient rien à voir avec les nôtres. Elles avaient l’habitude de manger chaud à tous les repas, de boire chaud et souvent salé pour des raisons de conservation. Au début, on rigolait beaucoup parce qu’à table, mon mari – les considérant comme des invitées – attendait qu’elles se servent. De leur côté, elles attendaient elles aussi qu’il commence parce qu’il était l’homme de la table.
Tenzin prenait beaucoup de plaisir à cuisiner, on a donc souvent préparé les repas toutes les deux. C’est aussi comme ça qu’on a appris à communiquer.
Ce qui pose ensuite la question de la place de chacun dans ce contexte particulier. Dans l’intimité du partage d’un logement ou d’une relation de proches, on a l’habitude d’être un adulte par rapport à un enfant ou un soignant par rapport à un malade, par exemple. Ici, la situation est très différente : elle est celles d’adultes libres.
C’est une situation qui suscite des questionnements et une certaine introspection : en tant qu’adultes accueillants, on ne doit pas être dans la surprotection. En revanche, on doit pouvoir définir le degré d’autonomie de chacun, mettre en accord leurs besoins avec ce que moi, je suis prête à accepter.
De mon côté, je suis allée voir le maire de mon village dès 2015, en lui demandant si ça l’intéressait de travailler activement à l’accueil de réfugiés dans la commune. À l’époque, c’était un vrai enjeu de communication pour les mairies et je voulais m’assurer qu’on dépasse le stade du discours. Ainsi, j’ai insisté pour qu’elles soient domiciliées au Centre communal d’action sociale CCAS du village. Ce qui a été très gentiment accepté par la commune. Le maire les a reçues et a invité la presse et les médias locaux. Ensuite, quand elles venaient chercher leur courrier, les employés de la mairie les reconnaissaient.
Donner les clés de chez moi, ça ne me semble pas difficile. Ça me passionne, même. Parce que j’aime les rencontres. Jusqu’à maintenant, j’avais l’habitude des rencontres plus consensuelles. J’avais déjà hébergé plusieurs mois une amie américaine qui avait besoin d’un pied-à-terre en région parisienne. C’était évidemment plus facile que d’accueillir quelqu’un qui a un parcours de souffrance. […] »
Retrouvez ce témoignage dans son intégralité ici.