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UKRAINE - L’hébergement citoyen, une solution nécessaire, sous certaines conditions de succès

Depuis quelques semaines, en solidarité avec les populations fuyant l’Ukraine, de nombreux citoyens se portent volontaires pour accueillir des personnes déplacées chez eux et une multiplication d’initiatives voient le jour partout en Europe. Si l’hébergement citoyen peut être une solution temporaire utile, il est important de suivre certaines recommandations et d’être accompagné par des associations référentes sur le sujet pour héberger dans les meilleures conditions.


Rencontre avec Vincent Berne, Directeur du Programme J'accueille, et David Robert, Directeur de SINGA France.


J'accueille
J'accueille

Comment fonctionne “J’accueille”, le programme d’hébergement citoyen lancé par SINGA en 2015 ?


Vincent Berne - J'accueille est un dispositif d’accueil de personnes réfugiées chez les particuliers. Ce programme permet à des citoyens qui disposent d’une chambre libre pendant quelques mois d'accueillir des personnes réfugiées sans solution de logement pour qu’ils puissent se concentrer sur l’essentiel (reprises d’études, recherche d'emploi et d’un logement). Lancé en région parisienne, ce programme est rapidement arrivé à Lyon, Montpellier et Toulouse et a déjà permis l'accueil de plus de 700 personnes. Un programme similaire est également présent à Bruxelles, où SINGA Belgique aide à former des colocations entre bruxellois et des personnes réfugiées.



Comment est né ce programme ?


David Robert - Au début de SINGA, dès 2013, nous avons mené une étude internationale dans plus de 15 pays pour identifier et analyser les innovations sur l’asile et les migrations dans le monde. Guillaume Capelle, le fondateur de SINGA, a alors repéré une plateforme d’hébergement chez l’habitant en Australie qu'il avait trouvé particulièrement intéressante et novatrice. Les fondateurs décident de créer le premier hackathon sur l'asile en janvier 2015 avec le HCR Innovation, Simplon, Makesense, la Maison des Sciences de l’Homme. C’est pendant ce hackathon que l’idée d’une plateforme d’accueil chez l’habitant est née. Le dispositif J'accueille (alors nommé CALM - pour Comme A La Maison) a été lancé, au moment de la crise syrienne, et notre plateforme a connu un nombre d’inscriptions sans précédent au moment de la mort tragique du petit Alan Kurdi, en septembre 2015.


Avec cette solution, nous souhaitions avant tout construire une infrastructure qui permette de facilement réagir face à des crises, des conflits mais aussi des dérèglements climatiques. Nous souhaitions que les sociétés soient mieux préparées à ces mouvements de populations pour mieux les organiser et surtout, dans des conditions favorisant l’inclusion.


Nous avons mis en place une solution qui s’adapte, avant tout, aux nouveaux arrivants afin qu’ils puissent trouver plus facilement des logements et construire des relations durables avec des personnes locales.


Le but du programme est de permettre à toute personne en ayant besoin ou le souhaitant - suite à une demande d'asile où elle doit être prise en charge par le dispositif national d'accueil - de pouvoir se poser, se reposer et se projeter dans un cadre favorable aux rencontres, à l'émergence d'opportunités et l'épanouissement personnel. C’est d’ailleurs pour cela que nous préférons parler d’accueil citoyen plutôt que d’hébergement citoyen.



Quelle est la place de l’hébergement citoyen aujourd’hui pour les personnes exilées fuyant l’Ukraine ?


DR - A court terme, l'hébergement citoyen est un des nombreux moyens de combler les besoins. Les chambres disponibles et mises à disposition seront toujours moins grandes que les gymnases ou les hôtels, et plus complexes à recenser que les centres d’hébergement. En revanche, elles sont une solution de moyen terme, semi durable, différente de l’hébergement d’urgence qui reste la solution majoritaire. L'hébergement citoyen est donc une solution temporaire et minoritaire mais qui, au vu de la situation actuelle, se révèle indispensable pour pouvoir accueillir un maximum de personnes dans des conditions dignes.


Chez SINGA, nous mettons en place un accueil citoyen de moyen terme, afin de créer du lien social pour faciliter l’inclusion. L'accueil citoyen a le pouvoir de rendre une société plus forte, notre programme met tout en œuvre pour que cela soit réussi.



Comment l’accueil citoyen de SINGA permet d'accélérer l’inclusion des personnes exilées?


VB - L’offre d’hébergement temporaire proposée par l’Etat, notamment en centres d'hébergement, ne peut pas répondre aux besoins d’inclusion et de lien social des nouveaux arrivants, passée la première urgence. Pour la grande majorité, ce sont des dispositifs sociaux, globalement bien organisés, qui débouchent ensuite sur du logement social. Un dispositif global qui permet à la personne d'avoir, dans la majorité des cas, un toit, des conditions d'hygiène acceptables, mais qui pose des problèmes comme une précarité aggravée par l'isolement relatif des personnes, et une population qui n'a pas d'espace pour se rencontrer, découvrir et s'ouvrir à l'autre et à la société d’accueil. En centre d’hébergement, vous ne rencontrez pas de personnes de la société d’accueil. Il est alors très difficile d’accéder à des codes socioculturels, à la langue et donc de se sentir comme faisant partie de la société.


Nous avons donc souhaité créer un programme chez l’habitant qui puisse répondre à cet enjeu, idéalement en sortie de centre d’hébergement, qui permette aux personnes déplacées de pouvoir recréer un cercle social, si précieux quand on arrive dans un nouveau pays. L’autre enjeu est de changer la perception des personnes locales sur les personnes réfugiées. Accueillir chez soi, c’est un moyen de rencontrer, de comprendre et de s’enrichir mutuellement.


Pour accroître les chances de créer du lien et des interactions profondes, nous faisons également tout notre possible pour faire cohabiter des personnes qui ont des attentes et des intérêts communs.


Il faut environ 10 ans à une personne exilée pour se sentir vraiment “locale”. Notre objectif est de réduire au maximum ce temps. Par la rencontre, dans un cadre bienveillant et favorisant les opportunités, il devient possible de révéler son potentiel et de trouver sa place plus rapidement.



Quels sont les risques et les conditions de succès de l’hébergement citoyen ?


VB - Nous sommes très heureux de cet élan de solidarité des populations européennes depuis quelques semaines. Le nombre d’inscriptions de personnes qui souhaitent héberger ne cesse d’augmenter. Nous voyons plein de citoyens qui essaient de s’organiser pour accueillir chez eux ou même des créations de nouvelles plateformes pour venir en aide sur les logements.


Néanmoins, il nous semble important de rappeler qu’héberger des personnes exilées ne peut pas s’improviser. Après plus de 7 ans d’expérience, nous savons que, si on ne réunit pas certaines conditions, ces hébergements précipités peuvent provoquer des situations délicates autant pour les accueillants que pour les accueillis.


Avec J’accueille, nous mettons en place différentes actions pour donner toutes les chances à cet accueil de réussir comme nous assurer qu’une vraie intimité pour accueillants et accueillis soit respectée, que les familles s’alignent sur une charte de cohabitation afin d’établir des règles communes; que chaque accueillant et accueilli soit formés ; qu’une personne externe spécialisée soit bien identifiée pour s’occuper des démarches administratives afin que cela ne pollue pas les relations de cohabitation, qu’un lien constant soit gardé avec les accueillants et les accueillis avant, et pendant toute la durée de l'accueil.


D’ailleurs, si certaines personnes accueillent déjà, de façon autonome, des personnes fuyant l’Ukraine chez eux, nous les invitons à se rapprocher des associations compétentes pour les accompagner, même à posteriori, afin que toutes les conditions de réussite de cette cohabitation soient mises en place. Pour les personnes qu’elles accueillent, l’accompagnement administratif par un professionnel mandaté est d’une grande aide, autant qu’il décharge l’accueillant d’un travail complexe qui n’est pas le sien. Ces professionnels seront plus à même de prendre en charge les démarches pour l’accès aux soins, à la santé et à l’inscription à l’école pour les enfants.



Votre plateforme d’accueil est ouverte uniquement aux personnes ayant déjà le statut de réfugiés, pas pour les demandeurs d’asile. Pourquoi ? Qu’en est il pour les personnes fuyant l’Ukraine?


DR - Nous avons en effet souhaité proposer cet hébergement chez l’habitant uniquement à des personnes ayant déjà un statut de réfugié pour plusieurs raisons. D’abord, les personnes en demande d’asile relèvent du dispositif national d’accueil mené par l’Etat, qui s’est engagé, via la Convention de Genève, à subvenir aux besoins des personnes pendant cette procédure. Nous n’intervenons donc pas à ce moment-là. Mais une fois bénéficiaires de la protection internationale, les personnes hébergées dans le dispositif national d’accueil - hormis les personnes les plus vulnérables qui peuvent intégrer des Centres provisoires d’Hébergement (CPH) - doivent quitter les centres d’hébergement réservés aux demandeurs d’asile, sans forcément avoir trouvé une solution de logement. C’est donc ce moment de transition - où vous devez trouver des possibilités d’hébergement ou de logement, alors que vous avez été précarisé par un parcours migratoire et administratif difficile - où nous jouons un véritable rôle avec ce programme.


Aussi, les conditions d’accueil ne sont pas réunies en France pour que les gens vivent de façon sereine la situation de demandeurs d’asile, côté accueillis comme accueillants. Du côté des demandeurs d’asile, les perspectives d’avenir sont suspendues à une décision de l’OFPRA, et les conditions ne sont pas réunies pour une cohabitation apaisée.


Par ailleurs, si la personne accueillie est en demande d’asile et est déboutée lors de son accueil, au bout d’un certain temps, l’accueillant peut se retrouver en difficulté car peu de solutions de sortie sont envisageables pour la personne accueillie. Notre propos ici n’est pas de commenter cette situation juridique, que certains de nos confrères, spécialistes de l’hébergement citoyen de court terme, connaissent bien. Mais d’expliquer pourquoi un programme de long terme, reconnu, à fort impact social, se concentre sur les personnes déjà bénéficiaires de la protection internationale.


Pour ce qui est des exilés venant d'Ukraine, l’Europe a voté l’octroi de la protection temporaire ce qui leur permet d’avoir accès à un travail, la santé, l’éducation de façon immédiate. Ils peuvent donc être accueillis car ils ne passent pas par cette période complexe et incertaine. Nous espérons d’ailleurs que cette initiative légitime et appropriée de l'Union européenne puisse s’étendre à partir de maintenant à toutes celles et ceux qui fuient des conflits.



Quels sont les résultats de votre programme ?


VB - Créé à Paris, il est rapidement arrivé à Lyon, Montpellier, Toulouse et Bruxelles et a déjà permis l'accueil de plus de 700 personnes. L’impact social de J’accueille est significatif : 71,5% des personnes trouvent une solution de logement adaptée après le programme ; 45,3% sont en situation d’emploi (contre 13,1% à l’entrée) ; 42,4% ont suivi une formation ou repris des études (contre 27% à l’entrée). Le programme J'accueille accélère indiscutablement l'inclusion des nouveaux arrivants.



Comment comptez-vous développer ce programme en Europe et en particulier dans les pays frontaliers de l’Ukraine ?

DR - Nous avions pour objectif d’ouvrir le programme à Marseille, Nantes, Bordeaux, Rennes et Grenoble en 2022, nous le faisons désormais dès le mois d’avril afin de répondre rapidement aux besoins actuels, en lien avec les villes et l’Etat, et permettre l’accueil d’un maximum de personnes. Un besoin qui concerne les personnes qui arrivent d’Ukraine, mais aussi toutes les personnes réfugiées sans solution de logement qui sont déjà sur le territoire français.

A l'international, et spécifiquement pour les pays frontaliers de l’Ukraine qui en expriment le besoin, nous transformons peu à peu notre méthodologie en "open source”. Nous ouvrons notre expertise et notre méthodologie à tous les acteurs associatifs qui en font la demande en Pologne, Hongrie, Slovaquie, Roumanie et Moldavie et nous allons former des organisations sur le terrain dès la semaine prochaine.

L’hébergement citoyen est une puissante solution qui peut être mobilisée rapidement. Ayant développé une expérience précieuse sur ce sujet, il nous paraît important de la transmettre à toute organisation locale souhaitant accompagner les citoyens de son pays dans cette démarche et ne bénéficiant pas déjà de cette expertise. Partager nos méthodes permet de soutenir les accueils courts et les accueils des publics que nous ne couvrons pas (demandeurs d’asile et autres personnes exilées non réfugiés) afin que cela se passe le mieux possible car cet accueil est important dans des phases de crises comme celles que nous vivons ces dernières années : Soudan, Syrie, Irak, Afghanistan et aujourd’hui en Ukraine.

Par ailleurs, nous travaillons avec l’Etat français depuis près de 3 ans à la préparation d’un Contrat à Impact Social, qui puisse nous permettre d’étendre l’impact de l’accueil chez les particuliers à l’échelle nationale, notamment en rendant notre dispositif disponible dans les 40 plus grandes villes françaises. Nous espérons que ce travail de long terme trouvera une utilité particulière dans cette situation tragique.



Si je souhaite soutenir votre projet ou héberger, comment cela se passe-t-il concrètement?


VB - Vous pouvez soutenir le programme en faisant un don afin de nous permettre d’organiser un maximum d’accueils en cette période.

Si vous avez une chambre de libre pour quelque mois, vous pouvez vous inscrire à une réunion d’information pour tout savoir sur ce programme d’accueil. C’est gratuit, et non engageant.

Si vous souhaitez lancer un programme d’hébergement citoyen en dehors de la France, nous continuons d’identifier des associations et entreprises sociales en Pologne, Hongrie, Slovaquie, Roumanie et Moldavie qui auraient la capacité de lancer un programme d’hébergement citoyen à destination des personnes réfugiées. Contactez-nous : info@jaccueille.fr


Propos recueillis par Myriam Nouicer, Directrice Communication SINGA Global


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